Amélie vient de naître. Elle est toute fine, toute jolie, toute
délicate. Sa mère est heureuse, son père aussi, normal. Tout va bien.
Amélie a un an. Elle ne marche toujours pas, mais pas d'inquiétude, ça viendra. Elle sourit, joue, babille. Tout va bien.
Amélie
a dix-huit mois. Elle commence tout juste à marcher. Il était temps.
Elle sourit un peu moins, elle semble sérieuse. Une future intello?
Amélie
a deux ans. Elle s'accroche à sa mère. Elle ne veut pas jouer avec les
enfants de son âge, d'ailleurs elle semble les ignorer. Elle ne parle
toujours pas, ça inquiète sa mère. Son père pense qu'elle a besoin de
socialisation. Amélie est donc inscrite à la crèche.
Amélie
a deux ans et demie. Toujours aucun mot. Il y a bien quelques sons,
mais rien de précis. Elle communique peu avec ses parents, c'est presque
comme si elle y était indifférente. A la crèche, ça se passe mal, elle
reste dans son coin et ne va pas vers les autres. Sa mère s'inquiète de
plus en plus. ORL, orthophoniste, pédopsychiatre... C'est la période des
premiers bilans. A la pédopsychiatre, la mère dit d'Amélie qu'elle est
"dans sa bulle". Le trouble autistique est évoqué, un peu. Trouble du
comportement, trouble envahissant du développement... Amélie sera donc
en observation à l'hôpital de jour avec d'autres enfants handicapés. Le
premier contact est dur. C'est le début officiel de la prise en charge d'Amélie.
Amélie
a trois ans. Elle navigue entre l'hôpital de jour et la maison. L'école
veut bien la prendre un peu, mais pas trop. Il faut dire que c'est
difficile avec Amélie. Elle ne parle pas, elle crie. Elle ne joue pas,
elle s'accroche aux adultes comme à des bouées de sauvetage. Tests,
examens, rencontres avec la psychologue, la psychomotricienne,
l'orthophoniste.
Amélie a quatre ans. Le
test autisme révèle un résultat de deux points sur quatre. Pas assez
pour l'autisme, trop pour la normalité. Il faut chercher ailleurs.
Retour à la case départ. La dysphasie peut-être? À l'école, ça va mieux,
Amélie a une auxiliaire de vie. Hôpital de jour, école, orthophonie,
poney... l'emploi du temps d'Amélie est chargé. Ses parents font ce
qu'ils peuvent pour l'ouvrir au monde. Pas toujours facile.
Amélie a cinq ans. Elle
commence enfin à parler. Mais personne ne la comprend. Crises, pleurs,
tristesse, la vie est dure pour Amélie. Heureusement, la nouvelle
orthophoniste est extraordinairement gentille. Diagnostic dysphasie
négatif, la connasse du centre du langage explique aux parents médusés
que parfois, chez certains enfants, ce genre de comportement est tout
simplement dû à une psychose infantile, laquelle peut se transformer à
l'âge adulte en schizophrénie. La mère d'Amélie sort de la pièce pour
pleurer. Elle ne remercie pas la connasse en partant.
La même année, Amélie voit aussi un généticien, mais non, tout semble normal. Décidément, c'est un mystère.
A
l'école ça va beaucoup mieux. Malgré les difficultés de langage, la
maîtresse se rend compte qu'Amélie comprend bien les choses. Elle a un
raisonnement un peu différent mais l'important est qu'elle parvienne à
ses fins non?
Amélie a six ans. Pas autiste, pas
dysphasique. Le pédospsychiatre la trouve agitée, il évoque
l'hyperactivité et parle de médicaments. Non. Les parents refusent. Elle
est en CP. Elle parle presque bien, sait lire et écrire, adore l'école.
L'orthophoniste conseille aux parents un test de QI, pour faire le
point avec quelqu'un de neutre, qui ne la connaîtrait pas. Rencontre
avec une psychologue très gentille, étonnée par l'attitude "étrange"
d'Amélie. Discussion avec les parents, test de QI. Finalement, Amélie
est juste une enfant précoce.
Pas dysphasique, pas autiste, pas hyperactive, pas trisomique. Juste précoce.
Quatre
ans de prise en charge, des psychomachins, des orthotrucs, des
réflexions à la con, beaucoup de pleurs, d'espoirs, de tristesse, de
colère... pour ça.
Cette année, Amélie aura onze ans.
Le collège, ça va à peu près. Les résultats scolaires sont bons, mais elle surprend par son comportement. Alors il faut expliquer, raconter son histoire, l'hôpital de jour, la psychologue... Les professeurs semblent bienveillants, ça devrait bien se passer.
Amélie, c'est ma fille, ma zébrette, ma petite fille étrange et surprenante. Elle va bien. Tout va bien.
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