vendredi 30 octobre 2015

Adaptation à l'UPE


16 janvier 2007 J+1

Deuxième jour d'UPE pour Amélie. Ce matin belle-maman m'accompagnait, il fallait que je la présente à l'équipe car elle ira la chercher de temps en temps. Arrivée à 8h45, je préfère arriver un peu en avance car ça nous laisse le temps de faire une petite "transition". Je me souviens que quand je bossais à la crèche j'avais horreur des parents qui déposaient leur gamin et partaient en coup de vent, sans même prendre le temps de rester cinq minutes histoire de se séparer en douceur. D'un autre côté, faut pas rester trop longtemps non plus... sinon on a encore plus de mal à partir! Ce matin, c'était bien, j'ai joué un peu aux Legos avec elle, on a fait un petit câlin, puis elle est allée dans les bras de la gentille Claudine pour faire coucou à la fenêtre.
 
18h30 : je me rends compte que j'ai très peu parlé de l'UPE en fin de compte. Ben heu... je sais pas grand-chose en fait, hier c'est belle-maman qui est allée chercher Amélie, elle me l'avait demandé et je sentais que c'était important pour elle d'y aller seule, pour voir un peu les choses sans son fils et sa belle-fille! En ramenant Amélie elle m'a dit que ça s'était bien passé... je n'en sais pas beaucoup plus en fait.


Janvier 2007

L'UPE s'est bien passée. Amélie a fait des jeux d'eau ce matin, ainsi que de la musique, et elle a beaucoup aimé. Quand on est arrivés elle a traversé le couloir en courant et en criant de joie pour sauter dans nos bras, c'était adorable.

Rendez-vous ophtalmo. Petit défaut de vision à contrôler quand Amélie saura nommer les formes. Ça devient compliqué.


1 février 2007

Ce matin c'était le bilan d'Amélie à l'UPE... elle continue la prise en charge deux jours par semaine. Visiblement elle manque de confiance en elle, elle n'ose pas se lancer. Prochain rendez-vous avec le pédopsy le 20 février, d'ici là on attend.


20 février

Cet après-midi nous avions rendez-vous chez le pédopsy attaché à l'UPE, donc quelqu'un que nous n'avions pas encore rencontré. Et là, le bonheur, la joie, le ravissement total... le gentil monsieur nous a posé des questions sur Amélie... et sur nous! Nous, les parents, notre rôle parental, nos relations avec notre fille, notre propre enfance... Ben oui, avant d'être des parents nous avons été des enfants, et ça compte aussi! Questions franches, réponses sincères. Pas de honte, pas de gêne, pas de jugement... et ça fait du bien, ça aide à comprendre, ça nous aide à y voir plus clair par rapport à notre relation parentale. J'ai bien aimé ce monsieur, il ne nous a pas parlé comme à des attardés, il nous a dit des mots normaux, des phrases pleines de bon sens. Bref, un rendez-vous constructif qui nous donne l'impression d'avancer.

jeudi 29 octobre 2015

L'Unité Petite Enfance (UPE)


13 janvier 2007

J-2 avant l'UPE. Depuis quelques jours Amélie dit spontanément "mamamaman" ou "maman" ou "nana"... Ma petite fée commencerait-elle à parler? Je m'extasie à chaque fois, ces petites syllabes qui nous semblent si simples sont pour moi un enchantement quand elles sortent de la bouche d'Amélie.
Et puis, il y a les câlins. Amélie est de plus en plus câline et les moments de tendresse partagée sont autant de rayons de soleil!
Lundi matin ce sera la rentrée, une rentrée un peu particulière dans un univers très particulier. J'essaie de ne pas lui montrer mon stress, je ne veux pas "déteindre" sur elle, mais que de questions! Comment va se passer cette séparation? Comment va-t-elle se faire comprendre là-bas? Comment va-t-elle réagir dans ce nouvel univers? J'ai peur pour elle, peur qu'elle ne soit pas comprise, peur qu'elle pleure, peur de tout! Et puis, je repense à certains mots de la directrice, certaines phrases ne me rassurent pas. "On ne pourra pas poser de diagnostic avant l'âge de quatre ou cinq ans" m'a-t-elle dit. Mince, Amélie n'a que deux ans, va-t-on devoir attendre tout ce temps avant de savoir? Que vont-ils faire en attendant? L'observer? Pfff, plein de questions de maman angoissée, le temps me semble si long et l'avenir si incertain.


14 janvier 2007

Stress stress stress stress stress stress...
J'ai parlé à Amélie de l'UPE, je lui ai expliqué que lundi matin on allait l'accompagner dans un endroit où elle pourrait s'amuser avec d'autres enfants. Je lui ai expliqué que nous ne serions pas avec elle mais que nous viendrions la chercher après le repas. Je suis beaucoup plus inquiète qu'elle, forcément, comme n'importe quelle maman je pense!


15 janvier 2007

Amélie est entrée à l'UPE ce matin. Moment difficile pour moi, je me sens honteuse d'avoir raté quelque chose. Foutue culpabilité de merde. Je ne sais pas être une maman.

Je me suis rends compte de ce qui est douloureux dans cette histoire d'UPE : la confrontation au "handicap" (désolée, j'aime pas ce mot dans ce contexte, mais j'en ai pas d'autre). Ce matin Amélie était COMME les autres gamins accueillis, et les autres gamins, ben ils parlaient pas.
Pas de mignon petit enfant trisomique, pas de petit enfant claudiquant, la bave au coin de la bouche et le regard vague (désolée, j'exagère, c'est pas très sympa... mais j'ai besoin d'être un peu caustique aujourd'hui, sinon je vais pleurer)... non, rien de tout ça, juste des gamins qui ne parlaient pas, comme Amélie, et qui étaient accueillis en hôpital de jour. Des gamins handicapés donc. Comme elle.  
Confrontation au commencement de "la prise en charge", de l'institutionnalisation, confrontation à l'équipe soignante, à l'univers "psy"... et, de retour à la maison, voir l'école en face de chez moi, avec tous ces gosses qui jouent, crient, parlent, chantent, bref, qui ont leur vie d'enfant... sacré décalage, que j'ai du mal à vivre, mais ça viendra, c'est juste le début qui est un peu laborieux.

mercredi 28 octobre 2015

Fin décembre 2006. Quelques lignes jetées çà et là, entre doutes et petites victoires.


Décembre 2006
À l'époque, Amélie a deux ans. 

Rencontre avec la directrice, visite de l'UPE (Unité Petite Enfance), la maman inquiète a posé des tas de questions débiles (mais la maman s'en fout d'avoir l'air débile, elle en est plus à ça près!). En gros (en très gros même), ça ressemble à une crèche, mais en moins gai.

Amélie a passé la matinée à faire son cri de guerre ("A A A!") en me tirant par la manche (ou la jambe, ou les cheveux) toutes les cinq minutes. Elle voulait quelque chose, je ne savais pas quoi, et c'était très frustrant pour l'une comme pour l'autre. Cette situation commence à nous fatiguer toutes les deux, on est dans une sorte d'impasse et je cherche désespérément un moyen de nous en sortir. Si quelqu'un a une méthode miracle pour libérer la parole, je suis preneuse.

Cette nuit Amélie s'est réveillée à trois heures en pleurant, évidemment elle ne pouvait pas me dire ce qui n'allait pas, j'ai donc passé une heure à la rendormir dans mes bras avant de me recoucher. J'ai de plus en plus de mal à supporter son silence, je ne comprends pas toujours ce qu'elle essaie de me dire avec ses "A A A" et je passe mes journées à essayer de deviner selon le contexte.

Je commence à saturer, une accumulation de petites choses au mauvais moment, j'ai du mal à me reprendre.
J'éprouve de la rage contre moi-même. Colère contre moi-même car je n'arrive pas à comprendre ma propre fille et ne sais comment l'aider.

Réveillon chez mes beaux-parents ce soir, petite soirée toute simple et toute calme. Amélie était en pleine forme, pas du tout motivée pour aller dormir, elle a passé la soirée à jouer. Vers onze heures, gros coup de fatigue, et là elle a fait un truc vraiment adorable : elle a poussé sa mamie du fauteuil et est venue me prendre par la main pour le câlin du soir. Le câlin avant le coucher, c'est notre petit moment rien qu'à nous, notre bulle d'amour maman-enfant. Un gros gros câlin, puis je suis montée la coucher... sauf que la miss n'avait pas du tout envie de me voir partir comme ça. Re-câlin dans la chambre du haut, rien que nous deux cette fois. Un câlin bisou tout doux, un câlin tendresse et caresse... un câlin d'amour tout court. Des petits mots chuchotés à l'oreille, des petits mots rien qu'à nous et rien que pour elle, pour lui dire que je l'aime, qu'il faut qu'elle vive sa vie d'enfant, que les silences de sa maman ne doivent pas l'empêcher de dire les choses qu'elle voudrait nous dire. Des mots d'amour pour lui dire de ne pas avoir peur, des mots pour rassurer, des mots pour câliner.
Après ce gros câlin douceur, Amélie ne voulait plus du tout quitter mes bras... alors nous sommes redescendues, pile pour les douze coups de Minuit. L'année 2006 s'est donc achevée sur un beau moment de tendresse avec ma fille, je ne pouvais pas rêver mieux.
2007 commence, avec son cortège de bonnes résolutions qui ne seront pas tenues (du coup j'évite d'en faire, je gagne du temps!).
Pour Amélie ce sera l'année de l'entrée à l'Unité Petite Enfance... et j'espère l'année de sa sortie également!

Depuis des mois je culpabilise, je me demande pourquoi notre fille ne parle pas, je me remets en question, j'en parle, j'essaie de comprendre, j'écoute les conseils des uns et des autres... depuis des mois je me heurte à un mur, j'essaie de faire face comme je peux, pour Amélie, pour l'aider à sortir de cette bulle qui l'emprisonne... et tout me revient en plein dans la figure!

Cet après-midi Amélie a fait un truc assez inhabituel : elle nous a apporté un livre de petit Ours Brun et nous a montré l'image des crayons de couleur. Son papa m'a alors dit que les images pourraient l'aider à s'exprimer... j'ai failli lui sauter au cou tellement j'étais heureuse de l'entendre dire ça! C'est exactement le principe du PECS (Picture Exchange Communication System), une aide au langage à l'aide de pictogrammes. J'avais évoqué le sujet il y a quelques mois c'était encore un sujet "sensible". Le PECS, c'est surtout utilisé avec les enfants autistes, donc handicapés... 
Du coup on en a parlé, on se rend bien compte tous les deux qu'Amélie est frustrée de ne pas toujours arriver à se faire comprendre, et qu'il faut qu'on l'aide dans ce domaine.
Tout le monde nous disait toujours "elle parlera quand elle en éprouvera le besoin"... et bien justement, là elle en a besoin, et elle n'y arrive pas, donc on doit l'aider.
Je suis heureuse qu'on ait abordé le sujet, l'idée fait son chemin, on va pouvoir se pencher sur la question.

Hier soir, pendant que je prenais le bain avec Amélie, elle a dit "maman".
Bon d'accord, elle l'a pas sorti comme ça toute seule, elle l'a répété après moi alors que je venais de le lui chuchoter à l'oreille, mais ça faisait plusieurs mois qu'elle ne le disait plus, donc là, j'étais vraiment heureuse!

mardi 27 octobre 2015

Décembre 2006. Un concert.

Fin décembre 2006

Samedi soir, c'était concert. Mon mari est saxophoniste dans une harmonie, pas question de rater ça!
Je me suis installée avec Amélie pendant que mon mari allait se préparer. La miss était fascinée par les escaliers, elle a passé une heure à monter et descendre les marches, très fière d'elle! Elle se fichait totalement que son papa soit sur la scène, seuls les marches et les sièges rabattants semblaient l'intéresser.
Fin du concert, rideau, lumière, c'est là que ça devient dur. Il faut se lever, attendre que tout soit rangé, et pendant qu'on attend, forcément on croise quelqu'un qu'on connaît. Sourires, salutations, bises, on prend des nouvelles, et c'est parti.
- Ooooooh, comme elle a grandi la petite, ça lui fait quel âge?
- Deux ans.
- Déjà? Comme le temps passe! Elle va à l'école? (et merde, ça commence)
- Non, elle est trop jeune (je sens venir les questions qui fâchent)
- Ah bon? Pourtant le mien, à deux ans...(je m'en fous de ta vie)
- Ben oui mais elle non (je suis calme, si si!)
- Tu dis bonjour ma jolie? Tu me fais un bisou?
- Elle fait pas de bisou (normal, je lui ai pas appris)
- Ah bon? Tu dis bonjour alors?
- ... (je suis de moins en moins calme)
- Alors, tu dis pas bonjour? Tu sais pas parler? (bim, dans le mille!)
- Non, elle sait pas encore
- ... (silence poli)
- ... (silence gêné)
- C'est bizarre ça, moi le mien à deux ans il parlait déjà bien! (gna gna gna)
- ... (silence du calme avant la tempête)
- Et c'est normal? Elle est pas autiste quand même? (je vous jure que cette phrase est véridique!)
- Non non, elle est pas autiste, juste débile, elle parlera jamais, et puis d'ailleurs je suis même pas sûre qu'elle comprenne ce que je lui dis! (désolée, j'ai craqué)
- ... (silence outragé)
- ... (silence jubilatoire)
- Bon ben au-revoir, à une prochaine fois! (ça, ça m'étonnerait!)
- Oui, au-revoir, enchantée de t'avoir revue! (tu parles!)

Voilà, va falloir que je m'habitue à ce genre de dialogue, mais là j'avoue que j'ai du mal. La différence d'Amélie commence à se remarquer et je ne supporte pas certains regards, certaines phrases... du coup je deviens cassante.
Je sais bien que ces questions ne sont pas méchantes, mais j'en ai marre de devoir expliquer à chaque fois, et marre aussi d'entendre les mêmes questions, les mêmes suggestions. Oui Amélie est "un peu" différente, oui elle voit un pédopsychiatre, non elle ne parle pas, non elle n'est pas débile, oui elle comprend plein de choses...
Désolée, c'est un peu dur ce soir, j'ai du mal à m'y faire.
Demain on visite l'Unité Petite Enfance, je sens que ça va être folklorique.

lundi 26 octobre 2015

Décembre 2006, première rencontre avec la pédopsychiatre

4 décembre 2006

Plein de bonnes choses aujourd'hui! Ce matin on avait RV avec la pédopsychiatre pour Amélie. Plein de questions, un peu d'observation, nous y retournons lundi prochain pour "la synthèse" (grrr, j'aime pas ce mot!). Je m'attendais à des questions orientées sur les parents  mais non... Ce que je trouve positif c'est d'avoir pu parler de mes inquiétudes de maman et d'être écoutée. Ce n'est peut-être pas grand-chose mais j'avais besoin que quelqu'un de neutre le fasse, pas la famille ou les amis. Maintenant on attend lundi, on verra bien.

11 décembre 2006
 
A 14h30 nous avons rendez-vous pour le bilan d'Amélie. Elle a vu une orthophoniste et une pédopsychiatre, maintenant on fait le point. Amélie rit, chantonne, dessine, joue... mais elle ne parle pas. À deux ans, ce n'est pas encore très inquiétant, mais il y a "certaines choses" qui nous laissent parfois perplexes. Alors nous posons des questions, et nous espérons des réponses.


13 décembre 2006

Voilà, le bilan est passé. Je commence à digérer (un peu), je devrais pouvoir écrire sans m'énerver... du moins je vais essayer.
Donc hier, c'était le bilan avec la pédopsychiatre. Nous avions rendez-vous à 14h30 et on était pas mal stressés en arrivant (logique). La gentille dame est arrivée à 14h45, un dossier à la main, et nous l'avons suivie dans son bureau. On dit bonjour, on s'assied... silence. 
Et c'est parti! Ce qui interroge dans le cas d'Amélie, nous dit la très gentille dame, ce n'est pas tant le retard de langage que le comportement. Silence. 
- Quel comportement? ose demander la maman ignare. 
- L'absence de contact direct, répond la très gentille dame diplômée. 
- OK, répond la maman, mais alors, que peut-on faire? 
- Il faut qu'Amélie aille en observation à l'UPE, répond la très gentille dame très diplômée. La maman ignare tressaille, le poids de son incompétence se fait de plus en plus pesant, elle réfléchit à toute berzingue mais non, vraiment, elle ne connaît pas ce sigle. UPE comme "Union des Psychiatres Enlumineurs"? "Ukraine Profonde des Étudiants"? "Utopie des Poulpes Émerveillés"?
- Non Madame, UPE comme "Unité Petite Enfance".
OK, c'est plus clair.
- Et ça consiste en quoi? demande la pauvre maman vexée. 
- Ben on va l'observer, répond la madame toute puissante qui commence sérieusement à exaspérer la maman! 
Bon, donc pour résumer, après avoir attendu des mois pour obtenir trois rendez-vous d'une demi-heure chacun, c'est retour à la case départ, on reprend l'observation. Ce matin j'avais rendez-vous au CPEA de ma ville (cherchez pas, CPEA ça veut dire : "Centre Psychothérapique pour Enfants et Adolescents"), j'aurais dû annuler car ça faisait doublon avec le reste, mais j'y suis allée quand même, je voulais poser des questions sur cette fameuse UPE. Je suis ressortie avec autant de questions que la veille, autrement dit mon ignarité allait en s'aggravant!
Cet après-midi j'ai appelé cette fameuse UPE pour prendre rendez-vous, je suis tombée sur une dame très gentille qui m'a longuement expliqué de quoi il s'agissait, elle ne m'a pas parlé comme à une maman non comprenante et j'ai apprécié. En gros, c'est une sorte d'hôpital de jour pour très jeunes enfants, Amélie ira tous les matins pendant quelques semaines et sera dans un groupe de quatre enfants. Il y aura une orthophoniste, une psychologue et une psychomotricienne, et à l'issue de ces quelques semaines, l'équipe nous proposera une prise en charge adaptée.
C'est bizarre, j'ai travaillé avec des enfants handicapés, je me souviens avoir regretté le manque de communication entre l'équipe et les familles. Maintenant que je passe de l'autre côté de la barrière, je trouve ça pire encore, une désagréable impression d'être considérée comme une maman qui ne comprend rien, d'être trimballée de service en service et de devoir suivre aveuglément les directives des "professionnels". C'est fatigant et humiliant, et ça ne fait que commencer.

13 décembre 2006, tard le soir

Il est tard, encore une fois je n'ai pas sommeil, ça devient une habitude. J'arrête pas de penser à cette fameuse UPE, imaginer ma petite fille là-dedans me terrorise. J'ai tellement peur des institutions enfermantes que j'ose à peine y voir ma petite Amélie. Ma jolie petite fille tellement silencieuse, qui vient me prendre par la main sans parler quand elle désire quelque chose. Qu'est-ce que j'ai fait? Qu'est-ce que je n'ai pas fait? Qu'est-ce que j'ai raté? Qu'est-ce que je n'ai pas vu? 
"Les enfants sont des éponges, ils absorbent toutes nos émotions"... combien de fois ai-je entendu cette phrase? Et malgré cet avertissement, je n'ai pas su protéger ma fille. Le silence comme refuge? La bulle pour se protéger? Le refus du contact, son regard si lointain parfois, l'absence de langage... elle sait dire "maman", je l'ai déjà entendu le dire, mais elle ne le dit que par imitation, pour jouer. Jamais spontanément. Même ça elle ne le dit pas, alors que c'est le premier mot qui vient dans la bouche des enfants.
Est-ce que je ne sais pas l'aimer comme il faut? Est-ce qu'on peut apprendre à aimer correctement? Aimer et faire grandir, au lieu d'aimer et enfermer dans une bulle?
Je suis perdue, j'ai l'impression que j'ai raté mon rôle de maman...


Octobre 2006

L'histoire commence là, avec ces quelques mots jetés sur le papier, il y a neuf ans.


Amélie, petite fée du silence


Amélie a 23 mois. Aux dires de nos amis, c’est une enfant calme. Aux dires du médecin, c’est une enfant « un peu dans sa bulle ». Aux dires de la famille, c’est une enfant « qui va à son rythme ». Et moi, ce que j’en dis, c’est qu’elle est… différente. 
Elle a 23 mois et ne parle pas. Elle a quelques sons stéréotypés, le « kicéça ? » quand elle regarde des photos ou le « ta ! » quand elle regarde un livre. De temps en temps, quand je suis seule avec elle, elle dit « maman », mais uniquement en écho. C’est d’ailleurs le seul mot qu’elle accepte de répéter. Quand elle veut quelque chose, elle dit « A A A » en le montrant du doigt, quand elle veut faire quelque chose (un puzzle, des Lego), elle redit le même son en nous mettant la main dessus pour qu’on le fasse à sa place.
Elle a parfois des comportements répétitifs : enlever le petit clown de la locomotive en Lego et nous le tendre pour qu’on le remette, puis l’enlever à nouveau et nous le tendre à nouveau… et ainsi de suite. Autre jeu, nouveau celui-là : nous faire enlever la tétine de l’oreille de son doudou, puis nous la faire remettre…
Elle a marché tard, à 20 mois. Elle n’a tenu son biberon toute seule qu’à 18 mois.
Dans un groupe d’enfants, elle ne cherche pas à aller vers les autres, jouer par terre avec des graviers lui semble plus intéressant. Quand on l’appelle, elle ne daigne pas toujours tourner la tête… ou alors en retard. Il faut souvent insister. À table, elle refuse d’essayer de manger seule. Elle consent à manger avec les doigts si on insiste, mais pas plus. Si on lui laisse une cuillère à portée de main, elle nous la tend… d’ailleurs elle nous donne tout ce qui est à portée de sa main sur la table. Elle a ses petits rituels : le clown de la locomotive, la tétine du doudou, le paquet de cigarettes dans la poche de chemise de son père (ou dans la chemise !)… Ses jouets préférés sont les trains et les petites voitures. On a essayé les puzzles et les jeux d’encastrement mais elle nous donne les pièces au fur et à mesure pour qu’on le fasse à sa place. Quand on refuse, elle trépigne. Certains appellent ça du caprice, moi ça me donne l’impression d’être une colère de frustration.
Elle n’est pas du tout « bisous ». Les câlins, c’est quand elle veut et le temps qu’elle décide. Le coucou avec la main, c’est plus par jeu que pour dire au revoir. Elle ne cherche pas à imiter le cri des animaux. La seule imitation que je lui connaisse c’est le « voum » de ses petites voitures.
Toutes ces petites choses, on les remarquées bien sûr, mais Amélie est notre première enfant, et elle ne vas pas en collectivité, donc difficile de se rendre compte hors du contexte familial. 
Je fréquente un peu d’autres mamans du quartier. Bien sûr tous les enfants de l’âge d’Amélie ne parlent pas couramment, mais la plupart disent quand même quelques mots. Quand je vois un enfant courir en tendant les bras et en criant « maman ! », j’ai un pincement au cœur… car ça, Amélie ne le fait jamais.
Il y a quelques mois je suis allée faire un bilan auditif chez un ORL, plus pour rassurer mon beau-papa inquiet qu’autre chose puisqu’elle m’a toujours donné l’impression de bien entendre et de comprendre ce que nous lui disions. Audition normale, mais le médecin a trouvé qu’elle était « dans sa bulle ». Bizarrement, j’aurais préféré que le problème soit auditif. Les mois ont passé, j’attendais le mois de novembre (quand elle aura deux ans) pour faire un bilan plus complet… mais pas de changement depuis.
Alors je prends les devants. Bilan orthophonie le 10 novembre, pédopsychiatre le 12 décembre, RV à Brest au Centre Ressources Autisme en mars. 
L'autisme, c'est pas un joli mot. Ce mot, je le connais, je suis éducatrice, j’ai déjà travaillé avec des enfants et des adultes autistes, alors forcément il me renvoie des choses pas faciles. Il me fait peur ce mot, il m’effraie carrément même, mais il faut que je puisse écarter ce diagnostic pour comprendre.
Il me reste encore le neuropédiatre à appeler pour une IRM, c’est à Lorient. Je m’emballe peut-être un peu vite, je ne sais pas, mais je ne veux pas rester là à regarder ma petite fée sans rien faire. Je veux comprendre, essayer de l’aider, voir ce qu’on peut faire ensemble.
J’ai l’impression de m’engager dans un long processus, l’entrée d’un tunnel dont je ne vois pas encore la sortie. La seule lumière que j’ai pour m’aider à avancer, c’est Amélie, ma petite fée du silence. C’est une petite lumière malicieuse, la plus jolie lumière qui soit. Malgré ça, j’espère en trouver d’autres sur mon chemin, car là je me sens un peu seule. Depuis que j’ai prononcé le vilain mot à la maison, ce n'est plus tout à fait pareil. Le papa d'Amélie s’inquiète, je le vois, il fait plus attention dans ses échanges avec elle… et en même temps c'est difficile d'en parler, l'avenir nous fait peur. Je change moi aussi, je guette les moindres faits et gestes d’Amélie, pour chaque comportement je me pose la même question : « normal ou pas ? »
La famille, ça va être dur je pense. Pour eux notre fille est différente, oui, mais pas à ce point-là. Ah bon ? Et différente à quel point alors ? J’ai l’impression que je viens de mettre le pied dans un difficile engrenage, entraînant notre fille et mon mari avec moi… et je me sens coupable.
Je ne dors plus, je ne pense qu’à Amélie. Ce soir, pour la première fois depuis longtemps, j’ai pris un somnifère, j’espère que la petite molécule magique aura raison de mes inquiétudes… jusqu’à demain.

Amélie, onze ans moins quelques jours

Amélie vient de naître. Elle est toute fine, toute jolie, toute délicate. Sa mère est heureuse, son père aussi, normal. Tout va bien.

Amélie a un an. Elle ne marche toujours pas, mais pas d'inquiétude, ça viendra. Elle sourit, joue, babille. Tout va bien.

Amélie a dix-huit mois. Elle commence tout juste à marcher. Il était temps. Elle sourit un peu moins, elle semble sérieuse. Une future intello?

Amélie a deux ans. Elle s'accroche à sa mère. Elle ne veut pas jouer avec les enfants de son âge, d'ailleurs elle semble les ignorer. Elle ne parle toujours pas, ça inquiète sa mère. Son père pense qu'elle a besoin de socialisation. Amélie est donc inscrite à la crèche.

Amélie a deux ans et demie. Toujours aucun mot. Il y a bien quelques sons, mais rien de précis. Elle communique peu avec ses parents, c'est presque comme si elle y était indifférente. A la crèche, ça se passe mal, elle reste dans son coin et ne va pas vers les autres. Sa mère s'inquiète de plus en plus. ORL, orthophoniste, pédopsychiatre... C'est la période des premiers bilans. A la pédopsychiatre, la mère dit d'Amélie qu'elle est "dans sa bulle". Le trouble autistique est évoqué, un peu. Trouble du comportement, trouble envahissant du développement... Amélie sera donc en observation à l'hôpital de jour avec d'autres enfants handicapés. Le premier contact est dur. C'est le début officiel de la prise en charge d'Amélie.

Amélie a trois ans. Elle navigue entre l'hôpital de jour et la maison. L'école veut bien la prendre un peu, mais pas trop. Il faut dire que c'est difficile avec Amélie. Elle ne parle pas, elle crie. Elle ne joue pas, elle s'accroche aux adultes comme à des bouées de sauvetage. Tests, examens, rencontres avec la psychologue, la psychomotricienne, l'orthophoniste.

Amélie a quatre ans. Le test autisme révèle un résultat de deux points sur quatre. Pas assez pour l'autisme, trop pour la normalité. Il faut chercher ailleurs. Retour à la case départ. La dysphasie peut-être? À l'école, ça va mieux, Amélie a une auxiliaire de vie. Hôpital de jour, école, orthophonie, poney... l'emploi du temps d'Amélie est chargé. Ses parents font ce qu'ils peuvent pour l'ouvrir au monde. Pas toujours facile.

Amélie a cinq ans. Elle commence enfin à parler. Mais personne ne la comprend. Crises, pleurs, tristesse, la vie est dure pour Amélie. Heureusement, la nouvelle orthophoniste est extraordinairement gentille. Diagnostic dysphasie négatif, la connasse du centre du langage explique aux parents médusés que parfois, chez certains enfants, ce genre de comportement est tout simplement dû à une psychose infantile, laquelle peut se transformer à l'âge adulte en schizophrénie. La mère d'Amélie sort de la pièce pour pleurer. Elle ne remercie pas la connasse en partant.
La même année, Amélie voit aussi un généticien, mais non, tout semble normal. Décidément, c'est un mystère.
A l'école ça va beaucoup mieux. Malgré les difficultés de langage, la maîtresse se rend compte qu'Amélie comprend bien les choses. Elle a un raisonnement un peu différent mais l'important est qu'elle parvienne à ses fins non?

Amélie a six ans. Pas autiste, pas dysphasique. Le pédospsychiatre la trouve agitée, il évoque l'hyperactivité et parle de médicaments. Non. Les parents refusent. Elle est en CP. Elle parle presque bien, sait lire et écrire, adore l'école. L'orthophoniste conseille aux parents un test de QI, pour faire le point avec quelqu'un de neutre, qui ne la connaîtrait pas. Rencontre avec une psychologue très gentille, étonnée par l'attitude "étrange" d'Amélie. Discussion avec les parents, test de QI. Finalement, Amélie est juste une enfant précoce.

Pas dysphasique, pas autiste, pas hyperactive, pas trisomique. Juste précoce.
Quatre ans de prise en charge, des psychomachins, des orthotrucs, des réflexions à la con, beaucoup de pleurs, d'espoirs, de tristesse, de colère... pour ça.

Cette année, Amélie aura onze ans. Le collège, ça va à peu près. Les résultats scolaires sont bons, mais elle surprend par son comportement. Alors il faut expliquer, raconter son histoire, l'hôpital de jour, la psychologue... Les professeurs semblent bienveillants, ça devrait bien se passer.

Amélie, c'est ma fille, ma zébrette, ma petite fille étrange et surprenante. Elle va bien. Tout va bien.